
Le préfet de l’Eure, Thierry Coudert, avait pris le 3 janvier 2019 une mesure d’interdiction totale de manifester dans plus d’une vingtaine de communes de son territoire. (©DR)
Le 3 janvier 2019, Thierry Coudert, préfet de l’Eure, a pris la décision d’interdire les manifestations dans plusieurs communes de son territoire jusqu’au mercredi 16 janvier. Au total, ce ne sont pas moins de 22 arrêtés (1), signés par la main du préfet, qui ont alors formellement interdit à toute personne de manifester.
Des décisions largement contestées par les mobilisés en cette période de fort militantisme social qui, alors, se sont retrouvés dépossédés d’un cadre « légal ». Mais c’était sans compter sur la mobilisation des privés de pavé, mais aussi celle de La ligue des droits de l’Homme. Depuis le 15 janvier 2019, en effet, le tribunal administratif de Rouen (Seine-Maritime) a rendu caduque, par ordonnance, 22 des 23 décisions du préfet.
Face à l’urgence de la situation, la Ligue des droits de L’homme a en effet porté l’affaire devant le juge des référés.
(1) Les communes concernées : Gaillon, Bernay, Beuzeville, Heudebouville, Bourg-Achard, Douains, Évreux, Fleury-sur-Andelle, Fouqueville, Amfreville-la-Campagne, Folleville, Les Andelys, Conches-en-Ouche, Pont-Audemer, Grand-Bourgtheroulde, Honguemare-Guenouville, La Madeleine-de-Nonancourt, Gisors, Nassandres-sur-Risle, Saint-André-de-l’Eure, Val-d’Orger, Sainte-Colombe-la-Commanderie et Vernon.
« Des mesures extraordinaire et illégales »
Me Aïnoha Pascual, avocate au barreau de Paris, a participé avec la Ligue des droits de l’homme à l’action en justice contre ces arrêtés préfectoraux :
En dehors de l’état d’urgence, ces mesures sont extraordinaires et rarement vues en Europe. Il est très déroutant et disproportionné de prendre de telles interdictions dans des territoires où les difficultés ne sont pas majeures. L’interdiction totale de manifester est une mesure normalement utilisée en dernier recours. C’est une véritable atteinte à la liberté de manifester. Une liberté fondamentale.
Nous avons obtenu ce matin, aux côtés de la @LDH_Fr et de @AA_Avocats la suspension des 22 arrêtés portant interdiction totale de manifester dans le département de l’Eure. Seul subsiste l’arrêté de Grand Bourgtheroulde qui accueille ce jour @EmmanuelMacron.
— Aïnoha Pascual (@Ainoha_Pascual) January 15, 2019
Seul l’arrêté interdisant la mobilisation à Grand-Bourgthéroulde (Eure) a, lui, été maintenu. Dans le contexte de la venue du chef d’État pour la première étape du grand débat, la décision semble compréhensible.
Une jolie pirouette
Sur le site de la préfecture de l’Eure, le recueil spécial n° 27-2019-17 du 17 janvier 2019 indique bien le retrait des 22 arrêtés préfectoraux du 14 janvier 2019. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais en fait non !
Ce même 17 janvier, la préfecture publie également le recueil spécial n°27-2019-18. Dans ce document de 60 pages, signé cette fois par Arnaud Gillet, directeur de cabinet du préfet, on retrouve alors 20 nouveaux arrêtés, stipulant tous une nouvelle interdiction d’une manifestation sur la voie publique. Mais cette fois, les « périmètres interdits » aux manifestants sont bien plus précis.
Exemple concret. Le 3 janvier, l’arrêté stipulait dans son article 1er :
Toutes manifestations ou rassemblement dans le cadre du mouvement dit « gilets jaunes » en cours ou susceptible de se dérouler sur le territoire de la commune sont interdits […].
Une interdiction pure et simple, donc. Dans le nouveau, portant toujours sur la mobilisation à Bernay, une précision est apportée :
[…] au rond point dit de « la Malouve » à l’intersection de la D438/D133 et dans un rayon de 500 mètres autour de ce site.
Un rond-point ayant été le théâtre de la mobilisation des gilets depuis le 17 novembre 2018. Même son de cloche dans plusieurs autres communes, quasiment toutes, d’ailleurs. Un joli pied-de-nez à la décision du tribunal administratif de Rouen.
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« Nous suivons les conditions du tribunal »
Arnaud Gillet, directeur de cabinet du préfet joint par téléphone, tient à préciser d’emblée « que nous ne cherchons pas à contourner la réglementation ». Et le directeur de poursuivre :
Nous avons pris la mesure de la décision du tribunal administratif et nous suivons désormais de nouvelles conditions. Et nous tenons à préciser également que la liberté de manifestation s’accorde avec une déclaration préalable en Préfecture. De nombreux points de blocages, barrages filtrants ou bloquants dans l’Eure sont quant à eux des entraves à la libre circulation.
Et de poursuivre :
Nous avons réduis les périmètres « d’interdiction » en les limitant aux ronds-points et leurs accès.
Arnaud Gillet souligne également que, malgré les arrêtés préfectoraux mis en place, « de nouvelles demandes de manifestations peuvent être déposées. Elles seront alors mises à l’étude. » Le directeur tient également à souligner « que nous avons reçu, il y a peu, une délégation de Gilets jaunes. Le dialogue n’est pas rompu. »
Un dialogue peut-être pas totalement rompu, mais un brin écorné tout de même. En témoignent les « détails » de l’appel à l’Acte XI, déjà en ligne depuis le 20 janvier. Les organisateurs de ce onzième acte appellent en effet les manifestants à se rendre à Évreux, et non à Rouen, car :
Il est grand temps de montrer au préfet de l’Eure que les citoyens se mobilisent contre ses arrêtés anti-constitutionnels et arbitraires !
Les Gilets jaunes de Caen (Calvados) ont, eux aussi, décidé de répondre à l’appel des manifestants de la cité ébroïcienne.